Télétravail Transfrontalier Suisse-France (L’essentiel à connaître en 2025)
LexFocus – 13 octobre 2025
Rédigée par Me Emanuelle Brulhart
1. Introduction
Aujourd’hui, le télétravail est devenu un pilier de l’organisation du travail. Toutefois, pour les employeurs suisses ayant des collaborateurs résidant en France, il soulève des enjeux juridiques, sociaux et fiscaux complexes.
Depuis le 1er janvier 2023, les travailleurs frontaliers sont autorisés à télétravailler jusqu’à 40% de leur temps de travail annuel depuis leur domicile français, sans que cela n’entraîne automatiquement un changement de régime fiscal.
Cependant, cette tolérance fiscale ne s’aligne pas avec les règles de sécurité sociale : au-delà de 25% de télétravail, le collaborateur peut être affilié au régime français de sécurité sociale si l’employeur ne prend pas les mesures nécessaires, alors même que le rattachement fiscal resterait en Suisse.
En cas de non-respect des règles en vigueur, des redressements avec pénalités peuvent être appliqués. Voici l’essentiel des règles à connaître en 2025 pour éviter les écueils.
2. L’essentiel
Droit du travail |
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Sécurité sociale |
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Fiscalité |
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Obligations déclaratives |
Employeur :
Salarié :
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Conseils pratiques |
Mettre en place :
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3. Définition du télétravail
L’activité en télétravail depuis l’Etat de résidence désigne toute forme d’activité professionnelle exercée par un collaborateur frontalier, à distance, depuis son pays de résidence, comme la France, pour le compte de son employeur suisse.
Cette notion inclut :
- Les tâches habituellement effectuées dans les locaux de l’employeur, mais réalisées à distance, depuis le pays de résidence.
- Les missions temporaires réalisées dans le pays de résidence ou un état tiers, tant que leur durée cumulée ne dépasse pas 10 jours par an.
4. Droit du travail : Clarifiez la loi applicable
En Suisse, le télétravail n’est pas un droit. Certaines conventions collectives en fixent les principes, sans créer de droits ni d’obligations contraignants. Sa mise en place repose donc exclusivement sur un accord contractuel entre l’employeur et le collaborateur.
Il est vivement recommandé de préciser explicitement dans le contrat de travail ou dans une convention de télétravail que le droit suisse s’applique, même en cas de télétravail depuis la France et de prévoir qu’une partie prépondérante de l’activité (>50%) se déroule en Suisse. Sans cette mention, si une part importante du travail est effectuée en France, le droit français pourrait s’imposer.
5. Sécurité sociale : Règle des 25%
L’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) conclu avec l’Union européenne (UE) et la convention instituant l’Association Européenne de Libre-Échange (AELE) prévoient depuis 2002, que les personnes qui travaillent en Suisse et dans un Etat de l’UE ou de l’AELE – y compris en télétravail – sont assujetties aux assurances sociales de leur Etat de résidence, lorsqu’elles y exercent au moins 25% de leurs activités (art. 13 par. 1 du règlement (CE) n° 883/2004).
En pratique, un frontalier résidant en France peut donc télétravailler au maximum 24,9% de son temps pour rester affilié aux assurances sociales en Suisse et ce pour autant qu’il n’exerce aucune autre activité salariée en France.
Pour faciliter durablement le télétravail, la Suisse et plusieurs Etats de l’UE, dont la France, ont signé un accord multilatéral entré en vigueur le 1er juillet 2023. Cet accord, qui ne s’applique qu’aux personnes auxquelles l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE et la convention AELE est applicable, à savoir les ressortissants de la Suisse, de l’UE et de l’AELE, autorise les frontaliers à travailler jusqu’à 49,9% de leur temps depuis leur Etat de résidence, sans remettre en cause la compétence de l’Etat du siège de l’employeur en matière d’assujettissement aux assurances sociales.
Cet accord ne s’applique qu’aux travailleurs en télétravail transfrontalier. Sont ainsi exclus :
- les indépendants ;
- les personnes qui exercent, de manière habituelle, également une activité autre que du télétravail dans l’Etat de résidence (par exemple des visites régulières à des clients, une activité accessoire indépendante) ;
- les personnes exerçant, de manière habituelle, également une activité dans l’UE, respectivement l’AELE, en dehors de France et de la Suisse ;
- les personnes travaillant pour un autre employeur situé dans l’UE, respectivement l’AELE, en plus de l’activité exercée pour leur employeur suisse.
En outre, l’accord ne s’applique qu’au télétravail compris entre 25% et 50%.
6. Fiscalité : Respect du seuil des 40% (dont max. 10 jour de missions temporaires)
Depuis le 1er janvier 2023, les frontaliers sont autorisés à travailler jusqu’à 40% de leur temps depuis leur domicile en France sous forme de télétravail grâce à des accords mutuels, sans que cela n’ait d’impact sur l’impôt à la source ou le statut de frontalier en Suisse. Ces accords mutuels sont applicables jusqu’au 31 décembre 2025.
Dès le 1er janvier 2026, l’avenant à la convention franco-suisse contre les doubles impositions (CDI), entré en vigueur le 24 juillet 2025, sera applicable.
Régime jusqu’au 31 décembre 2025
- Télétravail jusqu’à 40% du temps d’activité annuel sans incidence sur le droit d’imposition en Suisse.
- Les missions temporaires (déplacements professionnels, formations, etc.) effectuées en France ou dans un Etat tiers sont incluses dans le taux de télétravail, dans la limite d’une franchise de 10 jours par an.
- Si télétravail au-delà de 40% de télétravail et/ou si plus de 10 jours de missions temporaires, imposition en France des jours télétravaillés (dès le premier jour) ainsi que des missions temporaires en dépassement des 10 jours.
Régime à partir du 1er janvier 2026
- Même régime que le régime valable jusqu’au 31 décembre 2025, et
- Versement par la Suisse d’une compensation financière à la France lorsque le taux de télétravail ne dépasse pas 40%.
- Échange automatique des données salariales entre les administrations fiscales suisses et françaises.
7. Obligations déclaratives
Jusqu’au 31 décembre 2025
L’accord amiable sur le télétravail[1] prévoit que l’employeur doit pouvoir attester du taux de télétravail accordé à ses employés frontaliers.
Cette attestation peut prendre la forme d’un document contractuel (ex. : disposition du contrat de travail ou convention de télétravail signée).
Dès le 1er janvier 2026
L’employeur devra transmettre à l’Administration fiscale cantonale le taux de télétravail accordé à chaque employé domicilié en France, y compris les jours de missions temporaires dans la limite de 10 jours.
Il devra fournir ces données au début de l’année N pour l’année fiscale N–1. La première transmission devrait intervenir début 2027 pour les données de 2026.
En tant qu’employeur de droit public, l’obligation d’attester le taux de télétravail s’applique uniquement aux collaborateurs non suisses.
Par ailleurs, si le collaborateur quitte l’entreprise en cours d’années, avant le 31 décembre, l’ancien employeur doit remettre à l’employé qui en fait la demande une attestation[2] portant sur les éléments suivants :
- Les jours de télétravail ou taux de télétravail ;
- Les jours de travail sous forme de missions temporaires dans l’Etat de résidence ;
- Les jours de travail sous forme de missions temporaires dans des Etats tiers ; et/ou
- Nombre de nuitées en Suisse pour les employés soumis à l’accord amiable du 11 avril 1983 entre le Conseil fédéral suisse et le Gouvernement de la République française relatif à l’imposition des rémunérations des frontaliers (p. ex. pour les employés travaillant dans le canton de Vaud).
8. Point de vigilance
Il est impossible dans le cadre du présent article de couvrir toutes les conséquences liées au télétravail (atteinte à la santé des travailleurs, risques en matière de confidentialité et de sécurité des données, surveillance du télétravailleur, etc.).
Toutefois, il nous paraît important de souligner que si un collaborateur utilise son domicile pour exercer une activité pour son employeur, les autorités fiscales pourraient considérer ce bureau à domicile comme un « établissement stable » dans le pays de résidence de l’employé, impliquant des obligations fiscales dans ce pays pour l’employeur (déclaration, imposition des bénéfices attribuables à cette activité, obligations comptables).
L’OCDE a d’ailleurs émis des recommandations à ce sujet en 2021 en précisant qu’un certain degré de permanence (tant du point de vue temporel que géographique) de l’installation fixe d’affaires mis à la disposition de l’employeur est exigé. De plus, si le salarié conclut habituellement des contrats au nom de l’entreprise depuis son domicile, il existe également un risque qu’il soit considéré comme un agent dépendant, entraînant la même conséquence.
8. Conseils pratiques
En anticipant les obligations légales, vous réduisez la charge administrative et évitez des pénalités coûteuses.
Voici nos recommandations :
- Mettez à jour vos contrats et règlements internes : Intégrez des clauses spécifiques au télétravail pour garantir la sécurité juridique et la transparence.
- Suivez précisément les jours télétravaillés et les missions temporaires à l’étranger : Implémentez un système fiable pour enregistrer les jours de télétravail et les missions temporaires. [3] Cela nous parait indispensable pour pouvoir établir les attestations obligatoires dès 2026.
- Informez et formez vos collaborateurs :Informez les collaborateurs frontaliers des implications fiscales et sociales liées au télétravail, notamment en ce qui concerne les seuils à respecter et les conséquences en cas de dépassement.
- Préparez-vous à délivrer les attestations en cas de départ en cours d’année : Dès 2026, une attestation « en cas de rapports de travail de moins d’un an » [4] devra être remise à l’employé à sa demande. Elle permettra au nouvel employeur de connaître les jours de télétravail et de missions temporaires déjà effectués.
Nous restons à votre disposition pour toute question ou pour vous accompagner dans la sécurisation de vos pratiques.
Meier Raetzo Dunant avocats, cabinet d’avocats basé à Genève, dispose d’une palette de spécialisations permettant une vision globale des problématique liées notamment au droit des ressources humaines, de la prévoyance professionnelle et au droit des étrangers.
Le présent article est uniquement fourni à titre informatif, à sa date de publication, sans tenir compte des faits et circonstances propres à une personne ou à une transaction particulière ou des modifications juridiques ultérieures. Il ne saurait créer une relation contractuelle entre l’Etude et/ou l’un des avocats de l’Etude et les personnes consultant cet article. Il ne constitue en aucun cas un avis juridique sur lequel les personnes visitant celui-ci pourraient se fonder pour décider d’agir ou non dans un cas particulier.
[1] Accord amiable transitoire entre la Suisse et la France en matière d’imposition du télétravail transfrontalier, signé le 22 décembre 2022 et prolongé le 17 décembre 2024 jusqu’au 31 décembre 2025.
[2] Formulaire à remplir, valable depuis le 1er janvier 2025 : « Attestation en cas de rapports de travail de moins d’une année pour les employés résidant en France selon l’art. 5a OIS » – Ordonnance sur l’imposition à la source (OIS ; RS 642.118.2).
[3] Certaines obligations peuvent être déléguées aux collaborateurs, sous réserve d’un encadrement et des instructions claires soient fournis par l’employeur. Le dispositif utilisé pourrait également être intégré au système existant de gestion du temps de travail, afin de centraliser les données et simplifier les obligations déclaratives.
[4] Art. 5a Ordonnance de l’impôt source (OIS ; RS 642.118.2)